Changer les normes de genre en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud : perspectives des pairs pour le changement social et de comportement dans le domaine de la planification familiale et de la santé reproductive

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La lutte contre les normes sociales et de genre est un élément essentiel pour parvenir à un changement durable dans le domaine de la planification familiale (PF) et de la santé reproductive (SR). Des normes profondément enracinées influencent souvent l’accès des individus aux services et la prise de décision concernant leur santé et leur bien-être. Toutefois, pour les modifier, il faut adopter une approche nuancée et adaptée au contexte. Nous avons tiré des leçons d’une série de Cercles d’apprentissage axés sur la prise en compte des normes sociales et de genre dans le cadre du changement social et de comportement (CSC) pour la programmation en matière de PF/SR.

Une expérience d’apprentissage collaboratif

L’approche des Cercles d’apprentissage de Knowledge SUCCESS a favorisé un environnement interactif dans lequel les professionnels du CSC ont échangé des idées et des expériences liées à la programmation en matière de PF/SR. Organisées virtuellement en mai et juin 2024, ces réunions ont rassemblé 35 participants de 10 pays : Burundi, Éthiopie, Kenya, Malawi, Rwanda, Somalie, Soudan du Sud, Tanzanie, Ouganda et Zimbabwe. La plupart des participants avaient de l’expérience dans le CSC pour les programmes de PF/SR et ont apporté une richesse de perspectives diverses. La conception du programme a favorisé le partage des meilleures pratiques, l’exploration des défis et le développement de solutions concrètes pour changer les normes néfastes qui limitent l’accès et l’utilisation des informations et des services de PF/SR.

Points clés

  1. Tirer parti de l’influence des leaders locaux pour remettre en question les normes sociales et de genre néfastes en matière de PF/SR

L’engagement des leaders locaux aide les parties prenantes à remettre en question les normes sociales et de genre bien enracinées, en particulier dans le domaine de la PF. Pour persuader les leaders communautaires et religieux influents de préconiser un changement de normes, il faut qu’ils s’alignent sur des objectifs communs tels que le bien-être de la famille et le développement de la communauté. Les programmes doivent impliquer ces leaders dans la création conjointe de messages qui soulignent comment l’égalité des genres et la PF aident les familles à être en meilleure santé. Présenter la PF comme une question de « bien-être familial » motive les leaders à devenir des partisans de la cause, en particulier lorsqu’ils reçoivent un feedback positif de la part de leurs communautés.

Exemple : au Soudan du Sud, une initiative s’est penchée sur le problème de la sous-déclaration des violences liées au genre (VBG) en incitant les hommes de la communauté et les leaders religieux à modifier les normes néfastes dévalorisant les filles qui ont été violées. Le personnel de cette initiative et les leaders de la communauté ont élaboré conjointement des messages sensibles à la culture soulignant les avantages pour la santé de services confidentiels de lutte contre la VBG, tels que la prévention des infections sexuellement transmissibles. Ils ont rassuré les parents sur le fait que le fait de signaler les cas ne nuirait pas aux perspectives de mariage d’une jeune fille. En alignant l’intervention sur les priorités de la communauté, comme le bien-être de la famille, le programme a réussi à augmenter le nombre de signalements et de traitements de la VBG, les leaders masculins se faisant les champions de la cause et aidant à normaliser l’accès à des services de santé essentiels.

  1. Impliquer les hommes dans la promotion du partage des responsabilités en matière de PF et de soins ménagers

Les normes traditionnelles en matière de genre perpétuent souvent les inégalités et les inégalités de pouvoir, limitant l’implication des hommes dans la santé reproductive, maternelle et néonatale. Ces normes contribuent également à la violence et à une répartition inégale des responsabilités en matière de soins. Pour résoudre ces problèmes, il faut faire des hommes des partenaires actifs qui remettent en question ces normes et favorisent des relations plus équitables. L’implication des hommes dans la PF encourage le partage des responsabilités, une communication ouverte et un plus grand soutien aux choix reproductifs des femmes. Les approches sensibles à la culture, les modèles masculins et l’engagement communautaire sont des stratégies éprouvées pour conduire le changement. En outre, une éducation ciblée, des programmes sur le lieu de travail et des services adaptés aux hommes permettent de s’assurer que les hommes sont informés et inclus. En présentant la PF comme un facteur de stabilité économique des ménages, et pas seulement de santé, on peut renforcer son attrait.

Exemple : au Rwanda, le programme Bandebereho program mis en œuvre par l’organisation Rwanda Men’s Resource Center (RWAMREC) lutte contre la VBG, donne aux femmes les moyens de prendre des décisions financières et améliore les pratiques de garde d’enfants, en réponse à des défis tels que les taux élevés de violence conjugale, l’autonomie financière limitée des femmes et la supervision inadéquate des enfants. Le programme engage les hommes en utilisant la paternité comme point d’entrée pour les discussions sur l’égalité des genres, en promouvant le partage des soins et des responsabilités ménagères. Grâce à des sessions participatives dirigées par des agents de santé communautaires, les hommes et leurs partenaires réfléchissent aux normes de genre et à la communication, encourageant ainsi le respect mutuel. Cette approche permet de réduire la violence entre partenaires intimes, d’accroître l’implication des hommes dans la santé maternelle et infantile et de promouvoir des foyers plus équitables et sans violence. Le modèle communautaire du programme et l’accent mis sur la prévention de la violence ont créé des changements durables.

  1. Intégrer les services de PF dans les activités communautaires pour réduire la stigmatisation et modifier les normes de genre

L’intégration des services de PF/SR dans les activités communautaires quotidiennes est une stratégie efficace pour remettre en question et transformer les normes sociales et de genre néfastes. Ces normes empêchent souvent les discussions ouvertes sur la santé reproductive, renforcent la croyance que la PF est uniquement la responsabilité des femmes et stigmatisent les jeunes, en particulier les filles, qui recherchent des services de santé sexuelle et reproductive (SSR). L’intégration des services de PF/SR dans des contextes non liés à la santé, tels que des événements sportifs ou communautaires, normalise les conversations autour de la SSR, en rendant les services plus accessibles tout en réduisant la stigmatisation qui y est associée. Cette approche communautaire, soutenue par des efforts de mobilisation importants, favorise la prise de décision partagée, encourage la participation des hommes et adapte les messages relatifs à la PF/SR aux valeurs culturelles locales, encourageant ainsi une participation plus équitable aux décisions en matière de santé.

Exemple : dans l’ouest du Kenya, le programme Sports for Change fait participer les jeunes hommes et les adolescents aux discussions sur la SSR, traditionnellement considérée comme la responsabilité des femmes. En intégrant l’éducation à la SSR et les services de PF/SR dans les tournois sportifs, le programme réduit non seulement la stigmatisation, en particulier pour les filles, mais encourage également le partage des responsabilités dans la prise de décision en matière de santé. Les champions de la jeunesse animent des séances d’apprentissage avant les matchs, délivrant des messages de SSR adaptés aux différents groupes d’âge. Cela a augmenté l’utilisation des services de PF et fait participer les adolescents aux discussions sur la SSR. Des services de santé tels que le dépistage du VIH, la PF et les vaccins contre le papillomavirus humain sont fournis lors de ces événements, améliorant ainsi l’accès aux soins.

  1. Orienter la voix de la communauté vers le CSC pour les programmes de PF/SR pour favoriser un changement de normes  

Pour que le changement de normes soit durable, il faut que la communauté s’implique activement à chaque étape du programme, de la conception à la mise en œuvre. Les communautés jouent un rôle dans le renforcement des normes positives et négatives, et leur participation est donc essentielle pour développer des interventions efficaces de changement de normes. Les programmes doivent impliquer les membres de la communauté dans la création conjointe de solutions, fournir des espaces de réflexion critique et impliquer des leaders influents pour favoriser de nouvelles normes positives.

Exemple : en Ouganda, les normes de genre ont traditionnellement limité les femmes à des tâches liées aux soins, les excluant de la prise de décision publique. Le projet Heroes for Gender Transformative Action mis en œuvre par Amref Health Africa, Cordaid, et MIFUMI s’est penché sur ce problème en encourageant la participation des femmes à l’élaboration du budget au niveau du comté par le biais de dialogues communautaires et de sessions de planification. Ces sessions ont permis aux femmes de s’impliquer activement dans le processus de budgétisation. Les femmes ont ainsi influencé les plans de santé en préconisant l’inclusion de services de PF/SR, ce qui a contribué à modifier la norme sociétale qui limitait leur rôle à la vie domestique.

  1. Utiliser un feedback continu pour suivre et adapter les programmes en vue d’un changement de normes

Un suivi et un feedback continus permettent d’évaluer si les interventions modifient les normes sociales, même si les progrès peuvent être difficiles à mesurer à court terme, et d’identifier rapidement toute conséquence involontaire, telle qu’une réaction négative de la part de la communauté. Les indicateurs de substitution ou indirects peuvent constituer un point de départ utile. En général, ces indicateurs se concentrent sur les changements d’attitudes, d’intentions et de comportements. Par exemple, un indicateur indirect d’attitude pour un programme visant à réduire la fréquence des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés pourrait suivre le pourcentage de personnes interrogées qui sont d’accord pour dire que les adolescentes de moins de 18 ans devraient être autorisées à se marier. La flexibilité de la programmation permet aux professionnels du CSC de relever les nouveaux défis et d’affiner leurs stratégies pour optimiser l’impact de leur action.

Exemple : en Éthiopie, un programme de prévention de la VBG a dû initialement faire face à un faible engagement de la communauté en raison de normes culturelles qui décourageaient la déclaration des cas. Grâce à un suivi continu et au feedback de la communauté, le programme a identifié les problèmes de confidentialité comme un obstacle majeur. En réponse, il a adapté sa stratégie en lançant des campagnes de sensibilisation assurant la confidentialité et soulignant les avantages pour la santé d’une déclaration précoce. Lorsque de nouveaux problèmes se sont présentés, comme la méfiance envers les prestataires de santé, le programme a été flexible et a formé les prestataires et mis en place des mécanismes de déclaration confidentielle. Cette approche réactive a permis d’augmenter le nombre de déclarations de VBG et l’utilisation des services, ce qui a eu pour effet de modifier les normes néfastes entourant la VBG dans la communauté.

Perspectives

La prise en compte des normes sociales et de genre dans le CSC pour les programmes de PF/SR est une initiative complexe visant à créer un changement durable. Ces idées soulignent l’importance de l’engagement des leaders locaux, du développement de messages adaptés à la culture et basés sur les valeurs de la communauté, de l’intégration des services dans les activités communautaires, de l’autonomisation des jeunes, de la participation des communautés à chaque étape, et de la flexibilité pour s’adapter aux problèmes émergents. En intégrant ces stratégies, les professionnels du CSC peuvent mieux cibler les normes sociales et de genre néfastes et créer des programmes de PF/SR plus efficaces et plus équitables qui répondent aux besoins de populations diverses.

A mesure que nous avançons, nous encourageons les professionnels du CSC à réfléchir à ces idées et à envisager la manière de les appliquer dans leurs contextes spécifiques pour améliorer les programmes de PF/SR. En restant connectés et en continuant à partager les idées et les innovations, nous assurerons notre succès collectif. Suivez-nous sur LinkedIn pour des mises à jour régulières et des stratégies concrètes issues des Cercles d’apprentissage, et explorez nos outils et ressources, notamment Guide pratique : intégrer les normes sociales dans les programmes de CSC, outil de vérification de l’égalité du genre,  et Modification des normes sociales et de genre dans le cadre du changement social et de comportement, 1ère partie et 2Ème partie prochainement. Ensemble, nous pourrons créer des communautés plus saines et plus équitables.

Rédigé par : Liza Mwaikambo, Knowledge Management Advisor